Photo © Suzi Medeiros

Sois toujours poëte, même en prose

14 juillet 2010

Témoignage d'un mineur

J’avais besoin d’une job plus payante que le reste,
Fait que j’ai décidé de prendre mes affaires pour l’ouest,
J’me suis dit qu’une mine c’est aussi bon qu’un building qui illumine,
Que là où que l’or pousse,
Les gens doivent avoir un sourire plus grand pis plus rare que toute,
Fait que j’ai fait les files d’attente matinales comme tout bon mineur
Pis j’ai mis en marche ma machine à creuser,
Là où le soleil est à 10 000 de pouvoir m’aveugler,
J’suis devenu noir de boulot,
À force d’accumuler la poussière de la roche dans les pores de ma peau,
Mais j’me suis dit qu’il fallait que j’creuse pour le lingot,
Que j’creuse pour l’Impôt,
Pis que j’creuse sachant que mon quart de shift allait finir bientôt,

La sueur au front, le parton au cul,
J’ai fait ma job comme tout bon yâble,
En remontant pis en redescendant de l’enfer en remonte-pente,
J’avais jamais touché à de l’or auparavant,
J’avais juste vu l’or des films pis des vitrines,
L’or des lampadaires pis des néons,
Pis l’or dans les cous des Pharaons,
J’avais hâte de voir la binette de ma première pépite,
J’me suis dit que ça allait être l’extase comme des St-Joseph qui t’excitent,
Que mes pupilles allaient se dilater d’électrochoc pis d’émotions fortes,

C’est seulement là que la dynamite m’a frappé,

Quand après une semaine de peine pis de misère,
Chu enfin tombé en plein dessus,
Seulement…ça m’a laissé aigre et déçu,
Ça l’avait rien de ce qu’on voit dans les vues,
C’était de l’or nu, de l’or mou, de l’or caoutchouc,
C’était de l’or tofu,
De l’or sans éclat de bijou,
C’était fade pis sans goût,
C’était même pas jaune à vrai dire,
C’était de l’or guédille pis guénille,
C’était de l’or sal, c’était l’or qui avait le goût de se contredire,
C’était une béquille de déception,
C’était aucunement l’or des rois mages
ou des centres d’achat,
C’était de l’or bouilli-pour-les-chats,
J’suis retourné chez moi tête basse,
Pis j’ai pris mon gars dans mes bras,

Pis c’est là que le coup d’éclat est venu me frapper comme un coup d’État,

C’est là que j’ai réalisé que dans l’fond,
L’or ça pousse pas dans les profondeurs souterraines,
Mais bien dans les profondeurs des cœurs,
Que l’or c’est la richesse intérieure qu’on porte au quotidien,
Que c’est l’extra de raisin de mon verre de vin,
Que l’or c’est danser dans la tempête,
Que l’or c’est sensé me donner le goût de m’élancer dans mes pensées,
Que l’or c’est mes proches qui me patch ma solitude,
Que l’or c’est la neige de novembre qui me rafraichit l’esprit,
Que c’est la brise de liberté qui me permet de voler en pleine nuit,
Que l’or c’est l’intrigue d’une vie,
Que j’découvre sur le fil doré d’une passion,
Que l’or c’est sortir d’isolation,
Que l’or c’est un métal qui brûle en dedans de nous-mêmes,
Loin des millionnaires enivrés,
Que l’or c’est pur pis c’est vrai,
Parce l’or ça se voit à travers de mes traits,

J’ai dû creuser pour le voir,
Creuser pour le croire,
Creuser sans boussole,
Creuser à travers un grand tunnel noir jusqu’à perdre le nord,
Mais creuser pour pas tomber,
Creuser dans le fleuve des épreuves,
Creuser jusqu’à preuve du contraire,
Creuser jusqu’à ma moelle épinière,
Creuser dans ruine, creuser dans frime,
Creuser jusqu’en Chine, mauzus que j’ai creusé en crime
Creuser jusqu'à perdre le bord, pis creuser sans mirador,
Mais bon dieu que je sais maintenant,
Que c’est en creusant qu’on réalise
Que tout ce qui brille n’est pas d’or

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